L’OPC poursuit et gagne contre... une agence qui n’existe plus


L’OPC poursuit et gagne contre... une agence qui n’existe plus

Le 20 juin 2014, le juge Thomas M. Davis, de la Cour Supérieure, condamnait Octopus Voyages, à rembourser 72 455,60 $ au FICAV. Cela pour avoir acheté, en 2008, 52 billets d’avion à une agence qui ne détenait pas de permis de grossiste. Le problème, c’est qu’Octopus Voyages n’existe plus. L’agence a fermé ses portes en 2011. Mais ce n’est pas pour rien que l’OPC a mené les démarches judiciaires jusqu’à leur terme. Histoire d’une ingénieuse arnaque et d’une saga judiciaire parsemée de rebondissements.

En novembre 2007, l’agence montréalaise bien connue Octopus Voyages, qui appartient à Maurice Elbaz, enregistre une belle commande : 52 billets d’avion pour Madrid pour des élèves des écoles secondaires Henri-Bourassa et Antoine de St-Exupéry. Du gâteau, quoi! Mais le gâteau se révèle particulièrement indigeste.

Au début, cela promettait pourtant d’être un beau dossier. Pensez-donc : une cinquantaine d’étudiants au programme international de deux écoles secondaires qui partaient pour Madrid avec leurs professeurs, dans le cadre d’un programme d’échange avec des institutions espagnoles!

Maurice ElbazOr, Octopus Voyages n’est pas accréditée par l’IATA. L’agence doit donc s’approvisionner chez un consolidateur ou faire émettre les billets par une agence accréditée, comme cela se fait couramment dans le milieu. Or, quelques semaines plus tôt, le propriétaire d’Octopus avait reçu la visite d’un dénommé Samy Elidrissi, propriétaire d’un point de ventes à l’enseigne de Voyages Algonquin, située dans le centre d’achats Place du Centre, sur la promenade du Portage, à Gatineau. Celui-ci lui avait expliqué qu’il détenait une accréditation IATA, qu’il émettait régulièrement des billets pour d’autres agences et, ce, à des prix très concurrentiels. Et, effectivement, lorsque Maurice Elbaz le contacte pour lui demander à quel prix il pourrait lui vendre une cinquantaine de billets pour Madrid, il lui propose un tarif très intéressant : un peu moins de 700 $ par billet d’avion, taxes comprises, avec British Airways, pour un total de 36 147 $. Maurice Elbaz en avise la Commission Scolaire, qui lui passe la commande pour un départ le 1er mars 2008. L’affaire est conclue! En décembre 2007, Octopus verse un dépôt de 9 180 $ à Voyages Algonquin, qui lui émet un reçu. Un reçu un peu bizarre : il est bien rédigé sur une feuille portant l’entête de Voyages Algonquin, mais à la main et de façon un peu brouillonne.

Qu’à cela ne tienne, Maurice Elbaz ne s’en formalise pas. Il avait pourtant vérifié et savait que le point de ventes d’Algonquin de la Place du Centre ne détenait pas d’accréditation IATA, mais Samy Elidrissi l’avait rassuré en affirmant que la demande était en instance de traitement et qu’en attendant, il avait un arrangement avantageux avec une autre agence de Gatineau arborant également l’enseigne Algonquin. Le 6 janvier 2008, Octopus verse le paiement final et Samy Elidrissi rédige et signe une quittance pour la somme de 26 967 $ dans la marge du reçu de l’acompte remis en décembre.

En février 2008, cependant, deux clients pour le compte desquels Octopus avait acheté des billets chez Algonquin Place du Centre sont refusés à l’embarquement. L’affaire se règle in extrémis, mais Maurice Elbaz s’inquiète et vérifie avec British Airways qui ne détient aucune réservation pour le groupe d’étudiants. Samy Elidrissi, lui, a disparu dans la nature.

Pour émettre les billets, Bristish Airways réclame, non pas 36 147 $, mais plus du double, soit 73 845 $. L’agence ne peut disposer de cette somme, d’autant plus qu’elle avait bien versé 36 000 $ à Voyages Algonquin.

Consterné, Maurice Elbaz se tourne vers l’OPC, qui accepte de dépanner le groupe d’étudiants en puisant la somme exigée par British Airways dans le FICAV (Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages). Tout cela se règle in extrémis. Le 1er mars,  jour du départ, un représentant de l’OPC se rend à l’aéroport de Dorval avec un chèque de 73 845 $ au nom du transporteur pour que les étudiants  et leurs professeurs puissent embarquer.

Le groupe part, donc. Mais Maurice Elbaz et Octopus Voyages n’en ont pas terminé avec les ennuis. Avant d’émettre le chèque tiré sur le FICAV, l’OPC a demandé à chacun des voyageurs de subroger le président de l’Office dans ses droits envers British Airways, Octopus et Voyages Algonquin. Autrement dit, pour obtenir leurs billets les étudiants ont du déléguer leurs droits de réclamation au président de l’Office.

Trois ans plus tard, soit le 1er mars 2011, la présidente par intérim de l’OPC intente une poursuite contre Octopus Voyages et Maurice Elbaz. Elle veut récupérer la somme déboursée par le FICAV.

Une arnaque d’envergure

Que s’est-il passé et qui est ce Samy Elidrissi, qui s’est évanoui dans la nature? Jusqu’en octobre 2007, le point de ventes de Voyages Algonquin de la Place du Centre appartenait à Desale Gauthier, qui exploitait également une agence sous la bannière «Algonquin» (il y en avait alors une quinzaine dans la grande région d’Ottawa) sur le boulevard St-Joseph, à Gatineau. Monsieur Gauthier avait décidé de se départir de sa succursale de la Place du Centre et, le 24 octobre 2007, il la revend à la compagnie 9187-8959 Québec Inc., représentée par Samy Elidrissi. Celui-ci prend possession du point de ventes le lendemain. Le contrat de ventes prévoit qu’il pourra continuer à s’approvisionner en billets d’avion chez Voyages Algonquin pendant trois mois, en attendant d’obtenir sa propre accréditation IATA. Et il ne s’en prive pas. L’affaire du groupe d’étudiants client d’Octopus Voyages n’est que la coupe qui fait déborder le vase. Il semble que juste après avoir perçu le paiement de 36 147 $ d’Octopus Voyages, le 6 janvier, Samy Elidrissi ait disparu dans la nature avec l’argent.

Ainsi, un client du nom de Mohammed Elbarseigy, qui lui avait acheté un billet d’avion Montréal/Le Caire également sur British Airways, s’est vu refuser l’embarquement le 10 janvier. De retour à Gatineau, il s’est rendu à l’agence, où il a trouvé porte close.

Il a intenté une poursuite contre Voyages Algonquin, Desale Gauthier et Samy Elidrissi à la division des Petites créances de la Cour du Québec, réclamant le prix du billet payé, ainsi qu’un dédommagement de 1 000 $, car il perdu cinq jours de vacances avant de pouvoir embarquer sur un autre vol. Dans une décision rendue le 11 février 2011, le juge Gatien Fournier exonérait Desale Gauthier de toute responsabilité et condamnait la compagnie 9187-8959 Québec Inc. à dédommager le plaignant. Mais ce dernier n’a jamais rien reçu, puisque le président de 9187-8959 Québec Inc, à savoir Samy Elidrissi s’était évaporé dans la nature. Le jugement mentionne d’ailleurs qu’il fait l’objet d’une enquête criminelle et qu’il est recherché par la Sûreté du Québec.

En cours de procédure, on apprenait également que Samy Elidrissi devait 100 000 $ à l’agence Algonquin encore propriété de Desale Gauthier. Et dans la décision rendue par le juge Davis en faveur de Mohammed Elbarseigy, on apprenait encore qu’il devait aussi 246 570 $ pour billets impayés à British Airways. Mais il doit également de fortes sommes à d’autres compagnies aériennes. Bref, en moins de 3 mois, Samy Elidrissi aura empoché plusieurs centaines de milliers de dollars pour des billets d’avions qui n’ont jamais été émis ou payé aux compagnies aériennes émettrices. N’est-ce pas ce qu’en langage vernaculaire, on appelle «une belle passe»?

Une poursuite contre une entreprise qui n’existe plus

Trois ans après la disparition de Samy Eldrissi, Octopus Voyages et son propriétaire Maurice Elbaz se retrouvaient donc visés par une poursuite lancée par la présidente de l’OPC en exercice, à cette époque, qui voulait récupérer les sommes ponctionnées à même le FICAV. «En fait la poursuite m’a été signifiée trois ans moins un jour après l’intervention du FICAV, soit un jour avant la date de prescription», nous informe Maurice Elbaz.

Aussitôt, le propriétaire d’Octopus s’est retourné contre Desale Gauthier et 9187-8959 Québec Inc., mais la poursuite a finalement été rejetée à la suite de quelques tribulations judiciaires complexes.

«Octopus a fermé ses portes en octobre 2011, mais ce n’est pas suite à l’affaire des étudiants et à la poursuite entamée contre l’agence par l’OPC, mais plutôt à cause d’une autre malversation venant d’un des employés, celle-là», explique aujourd’hui Maurice Elbaz.

Depuis, lui et son frère, Albert, travaillent dans une agence du chemin de la Côte-de-Liesse, à Montréal, enregistrée comme une succursale de Future Voyages, de Terrebonne.

Notons qu’Octopus Voyages a déjà employé jusqu’à 15 personnes. À la fin, cependant, l’agence n’appointait plus que six employés, propriétaire compris.

Même si Octopus Voyages a fermé ses portes, la poursuite a suivi son cours et le 20 juin 2014, le juge Thomas M. Davis, de la Cour Supérieure, condamnait l’agence, qui n’existe plus, à verser à l’OPC 72 455,60 $, plus intérêts et dépens, pour rembourser le FICAV.

Entretemps, l’OPC s’était désisté contre Maurice Elbaz, ce qui signifie que celui-ci n’était plus concerné à titre personnel. Du moins pas directement.

«Je ne comprenais pas pourquoi ils continuaient les procédures juridiques contre une entreprise qui n’existe plus, dit-il aujourd’hui. Mais maintenant, je comprends : c’est à cause de la caution. Après avoir obtenu le jugement en septembre dernier, ils se sont retournés contre la compagnie d’assurance qui avait fourni les garanties exigées par la Loi. Il s’agissait alors d’un cautionnement de 40 000 $. Moi je n’ai plus d’actifs, donc on ne peut pas me saisir, mais mon épouse, qui était cosignataire à l’époque, est propriétaire d’une maison. Elle pourrait faire face à une saisie ou à l’imposition d’une hypothèque légale.»

Bref, l’OPC ne lâche pas le morceau, même s’il y a plus de 100 millions $ accumulés dans le FICAV! Cependant les délais entre le moment des faits et le moment où l’OPC a lancé sa poursuite – trois ans moins un jour – pourraient être jugés déraisonnables par une Cour d’appel. Ainsi, vendredi dernier, l’animateur-agent de voyages de Québec, François Reny, a obtenu un arrêt de procédures contre l’OPC qui lui avait intenté une poursuite deux ans et sept mois après lui avoir adressé des constats d’infraction. La juge Chantal Pelletier, de la Cour du Québec, a estimé que le délai de deux ans et sept mois était déraisonnable.

Infraction à l’obligation relative au choix des fournisseurs

Maitre Daniel Guay, avocat spécialisé en droit du voyageLa poursuite intentée par l’OPC contre Octopus s’appuyait sur le fait qu’au moment des évènements, Algonquin ne détenait pas de permis de grossiste et que, donc, Octopus Voyages contrevenait à la Loi sur les agents de voyages (LAV) en achetant ses billets auprès d’une agence qui ne détenait qu’un permis de détaillant (le permis unique n’a été instauré qu’en juin 2010).

Selon Me Daniel Guay, avocat spécialisé en droit du voyage, le juge Davis s’est trompé de cible en fondant sa décision sur cet argument. Mais l’agence n’en était pas moins en tort. «L’article 36 de la LAV stipule qu’en cas de défaut d’un fournisseur, le consommateur ne peut poursuivre l’agent de voyages, sauf si celui-ci a commis une faute», allègue Me Guay. «Or, la faute ne réside pas dans le fait qu’il s’agissait d’une vente horizontale, c’est-à-dire d’agence à agence. Dans le cas d’émission de billet d’une agence IATA pour le compte d’une agence non IATA, il s’agissait d’une pratique courante dans l’industrie, à l’époque et encore aujourd’hui. La faute réside surtout dans le fait qu’Octopus s’est procuré les billets dans une agence qui ne détenait pas d’accréditation IATA. Maurice Elbaz n’avait effectué qu’une vérification sommaire et s’était contenté de l’explication fournie par Samy Elidrissi. Il dérogeait ainsi à l’une des cinq obligations de l’agent de voyages inscrites dans le Code civil.»

Rappelons qu’en vertu du Code civil les agents de voyages sont tenus :

1. à une obligation d’information.

2. à une obligation relative au choix des prestataires.

Et c’est ici qu’Octopus aurait failli en choisissant un fournisseur qui n’avait pas d’accréditation IATA.

3. à une obligation de conformité.

C’est-à-dire que les services fournis doivent correspondre à ce qui a été promis.

4. à une obligation de sécurité.

L’agent de voyages ne peut pas envoyer le client dans un endroit où sa sécurité, sa santé ou sa vie seraient compromises. Par contre on ne peut le tenir responsable d’un danger imprévu.

5. à une obligation d’assistance.

Si le client ne reçoit pas les prestations promises, une fois sur place, l’agent de voyages est tenu d’intervenir. De la même manière, il doit l’aider en cas d’imprévu entravant le bon déroulement du voyage.

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