
À quoi servent les conditions générales figurant dans les brochures des grossistes et dans celles des agents de voyages commercialisant des produits «maisons»? À rien ou, du moins, à pas grand chose, au regard de la loi.
C’est ce qu’a rappelé le jugement rendu aux Petites créances par le juge Jean Faullem, le 26 août 2014, dans l’affaire opposant un groupe de clients à Voyages Éclair et Vacances Sunwing. Ce n’est pas la première fois qu’un tribunal québécois rappelait que les clauses invoquées par les voyagistes pour dégager leurs responsabilités en cas d’erreur, d’omissions ou de négligences des hôteliers et autres fournisseurs ne valent pas tripette.
L’affaire Bertrand contre Voyages Éclair et Sunwing n’a pas grande importance, en soi. Elle implique un groupe de consommateurs de l’Outaouais qui ont acheté un forfait au Blau Colonial de Cayo Coco pour un départ en janvier 2013. Le cheminement du dossier est ponctué d’imbroglios et de malentendus. Ainsi, lorsqu’ils arrivent à destination, la chaîne espagnole Blau qui gérait l’établissement s’est retirée et l’hôtel est passé sous administration exclusivement cubaine. Il s’agit d’un quatre étoiles (bien décrit comme tel dans la brochure de Sunwing), alors que l’organisateur du groupe le présentait comme un «cinq étoiles» sur l’affiche qu’il avait fait imprimer pour recruter ses compagnons de voyage. À destination, la qualité des prestations est sérieusement affectée par le changement du gestionnaire hôtelier.
Mais l’intérêt du jugement réside ailleurs : il sanctionne la futilité de la plupart des clauses figurant dans les fameuses «conditions générales» reproduite à la fin des brochures.
Ainsi, tous les voyagistes y insèrent une clause en vertu de laquelle ils tentent de se dégager de leur responsabilité au cas où leurs fournisseurs (hôteliers, compagnies aériennes) ne dispenseraient pas le service conforme.
Dans son jugement, le juge Faullem rappelle celle de Sunwing :
«Suwing fait tous les efforts afin de s'assurer que l'information du contenu de cette brochure soit exacte au meilleur de ses connaissances au moment de sa publication…..Sunwing ne peut être tenue responsable des inexactitudes ou des omissions présentées dans la brochure ou des publications ou affichage d'une tierce partie. L'information présentée dans cette brochure est fournie à titre indicatif seulement et devrait être vérifiée auprès d'autres sources sures disponibles. Des changements à ces conditions générales peuvent avoir eu lieu suite à l'impression de cette brochure…. »
Mais le contenu ne diffère guère de celui qu’on retrouve dans les brochures des autres voyagistes. Ainsi, dans celle de Transat, par exemple, il est écrit :
«Bien qu’elle choisisse ses fournisseurs de services avec soin, Transat n’exerce aucun contrôle sur eux et ne peut être tenue responsable de leurs actes, omissions, fautes ou négligence ou ceux de leurs employés ou sous-traitants…»
Mais ces notices ne servent strictement à rien. «Tant le grossiste que l’agence ont une obligation de résultat», rappelle le juge Faullem dans sa décision. Et se référant à un précédent jugement, il poursuit : «…le grossiste ne peut pas limiter sa responsabilité par l’inclusion dans sa publicité d’une clause particulière à cet effet.»
Comme les Conditions générales figurant dans les brochures des grossistes et dans celles des agences qui élaborent leurs propres produits sont une longue litanie de désengagement de responsabilité, on peut se demander à quoi ces clauses contractuelles (car les conditions générales sont censées faire partie intégrante du contrat conclu entre le consommateur et le fournisseur) servent encore?
«Sur le plan légal, elles ne servent à rien, strictement à rien et plusieurs jugements sont venus nous le rappeler au cours des années», remarque Me Daniel Guay, avocat spécialisé en droit du voyage. «Elles datent des années soixante-dix, alors que la législation sur les droits des consommateurs était encore en gestation. Mais aujourd’hui, elles sont soit inapplicables, soit en contravention avec l’article 10 de la Loi sur la protection du consommateur. Et le client ne peut consentir à une clause en contravention avec l’article 10, même si l’agent de voyages prend la précaution de lui faire signer un document stipulant qu’il a pris connaissance des conditions générales et qu’il les accepte.»
L’avocat ne recommande pas pour autant que les producteurs en fassent l’économie. «Elles peuvent servir de garde-fou, lorsqu’on négocie avec un consommateur qui présente une réclamation», indique Me Guay. «Cependant, si le client s’informe auprès de l’OPC ou d’un avocat familier avec le droit de la consommation, elles ne serviront plus à rien.»
Par contre, les agents de voyages pourraient faire l’économie de la clause pare-feu qu’ils font parfois figurer sur leurs factures ou dans leurs propres brochure, celle voulant qu’ils n’agissent qu’à titre d’intermédiaire, elle ne vaut même pas le prix du papier sur lequel elle est imprimée. «C’est de la foutaise!», lance Me Guay.
Entre autres dispositions figurant dans les conditions générales, Daniel Guay retient celle voulant que les heures de vols ne soient données qu’à titre indicatif. «Ce n’est pas une clause acceptable, dit-il. Dans un jugement datant de 1998, celui rendu dans l’affaire Lambert contre Minerve, la Cour d’appel a déterminé que le transporteur avait une marge, mais que cette marge était mince.»
Et en aucun cas, le critère économique ne peut être invoqué. Ainsi, un voyagiste ou un transporteur ne peut pas faire valoir qu’il fait partir les voyageurs 12 heures après ou avant l’heure prévue dans le programme, parce que, faute d’avoir fait le plein de clients, il a «consolidé» deux vols en un seul. «Un fournisseur pourra se défendre en invoquant une raison de sécurité, mais certainement pas en invoquant des considérations économiques. Tant le code civil que la Loi sur la protection du consommateur prévoient que toute clause qui désavantage le consommateur de façon excessive n’est pas valable.»
Le bon nombre de bars et des restaurants!
Par contre, les voyagistes devraient prendre garde à la description des services offerts par les hôtels présentés dans leurs brochures. Ainsi, Sunwing, le grossiste stipulait qu’on retrouvait six bars au Blau Colonial. Or, au moment où le groupe y a séjourné, le taux d’occupation était particulièrement faible (moins de 40%) et seuls trois bars étaient ouverts. Le juge a tenu compte de cet élément pour fixer la pénalité qu’il a imposée à Sunwing et à Voyages Éclair. Comme on sait que souvent, en période creuse, les hôtels ferment certains bars et restaurants de spécialités, les voyagistes devraient en tenir compte dans leurs nomenclatures de services.